Il est souvent convenu qu’une œuvre d’art est un objet unique, tandis qu’un objet artisanal, bien que fait à la main, ferait partie d’une série, et pourrait être reproduit à l’identique.
On considère également que l’artisan produit des objets utiles, tandis que l’artiste produit des objets dont la seule qualité est l’esthétique.
L’artisan a appris une technique, qu’il reproduit, tandis que l’art ne s’apprendrait pas.
Ainsi on imagine un peintre réalisant une toile unique portant sa patte singulière. Il a généralement appris une technique de base, mais le style qui fait sa personnalité et son identité d’artiste, lui est propre, et n’a pas été appris. Ses œuvres ne sont pas reproductibles, excepté peut-être par des copistes de métier.
A contrario, on visualise l’artisan-par exemple le potier- comme quelqu’un qui est passé par une école pour apprendre un savoir-faire précis, et qui peut dupliquer en quantité les bols ou les assiettes qu’on lui a appris à fabriquer. Il fait de la petite série principalement, et peut reproduire ses pièces à la demande.
La fin d’un clivage
De nos jours, les clivages ne sont plus aussi nets. Tout d’abord, parce que l’art n’est plus systématiquement synonyme de beauté. Les galeries d’art et les musées sont souvent davantage intéressés par le concept, le principe ou l’idée qui motivent une installation. Ces installations n’ont en général pas d’autre but que celui de questionner ce concept ou cette idée, mais elles sont cependant très souvent réalisées avec des matériaux industriels, ce qui rendrait tout à fait possible une reproduction de l’installation ailleurs, sans qu’il soit nécessaire d’être un copiste de talent.
D’un autre côté, si un bol en poterie brute, ou des colorations par application au pinceau d’une couleur unie sont facilement reproductibles, il existe également des techniques nouvelles d’émaillage d’une céramique, qui permettent d’obtenir des très beaux effets, absolument uniques, et impossibles à reproduire, même par l’artisan / artiste ayant créé la pièce.
Zoom sur la technique d’émaillage
C’est notamment évident avec la technique d’émaillage qui permet de créer ce qu’on appelle la cristallisation.
Pour réaliser des céramiques couvertes d’un émail de cristallisation, un artisan potier doit d’abord apprendre à inventer un émail, en calculant grâce à des équations chimiques les proportions de différents produits réduits à l’état de poudres blanches. Le potier calcule donc ces proportions d’ingrédients à mélanger, cette recette, puis ajoute de l’eau, et applique l’émail ainsi constitué sur la céramique.
Cet émail sera blanc jusqu’à ce qu’il le passe au four, à une température allant jusqu’à 1300°C. L’émail va fondre dans le four, et donner tous types de couleurs à la sortie.
Certaines recettes d’émaux provoquent la cristallisation : de minuscules germes invisibles à l’œil nu, des micro-grains présents dans la poudre blanche des émaux, vont permettre à l’émail en fusion de se réorganiser autour de ce germe au moment de se solidifier en pâte de verre colorée, et créer des cerces de différentes couleurs, ressemblant souvent à des flocons de neige.
Ces cristaux se forment aléatoirement sur la céramique au moment de la solidification de l’émail après fusion, et peuvent encore se déplacer sur la céramique, glisser vers le bas, tant que l’émail n’est pas totalement solidifié. Ainsi, si le potier peut prévoir la couleur de son émail, et l’importance des cristaux qui vont se développer, il ne peut pas prévoir exactement le nombre de cristaux qui se développeront, ni où ils se trouveront sur la céramique. Chaque pièce sort ainsi du four totalement unique.
Il est possible d’apprendre les techniques de création d’une recette d’émail dans une école comme l’école Créamik, qui dispense des cours en ligne sur l’émail, en plus de sa formation longue destinée à professionnaliser de futurs potiers. Mais un potier apporte toujours sa propre façon de faire, rendant ses pièces uniques, et ne pourra pas faire deux fois la même pièce s’il utilise une technique comme celle de la cristallisation.
De plus, un potier peut très bien réaliser des sculptures, ou même des tableaux de céramique.
Dans ce cas, la frontière entre artiste et artisan disparait définitivement !